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La Blairelle en colère
18 juillet 2016

J'ai eu peur ce soir.

Je suis ivre. Ca arrive à tout le monde, de rentrer ivre chez soi. J’ai fêté l’anniversaire d’un ami, il a 28 ans ce soir (enfin pas tout à fait ce soir mais il les fête ce soir, vous voyez ce que je veux dire). C’est mon âge. Enfin, dans quelques mois, ce sera mon âge. Alors j’ai bu avec lui, j’ai fêté l’événement. Ce sont des choses qui arrivent. J’étais dans un bar que je connais bien, où personne ne me juge, où tout le monde sait que je suis maladroite, que j’ai un équilibre tout pourri… Ca fait rire mes amis. Et puis vient le moment de rentrer. Je suis ivre, point n’est besoin de le nier. J’habite à quoi, 10 minutes à pieds ?

 

C’était la fête ce soir. J’ai mis mon collant dentelle fétiche, une robe noire et un soutien-gorge Marlies's Dekkers dont on peut voir les lanières, il va très bien avec cette robe selon moi. Je me trouve jolie (pour une fois). Je n’ai pas fait cette remarque entre parenthèse pour faire pitié. Simplement il n’est pas facile pour moi de me sentir jolie. Ce soir, c’est le cas. Je me trouve jolie et ça me fait plaisir, c’est un plaisir rare ces temps-ci.

 

Or donc, je suis ivre et c'est la fin de la soirée. Que faire ? eh bien je rentre, courageuse, chez moi. Si je ne contrôlais pas chaque partie de mon corps, je me tiendrais au mur pour avancer, parce que je suis ivre et que ça arrive, parfois. Il n'y a pas de honte à avoir, ça peut même être marrant. Mais je sais que ce serait montrer une faiblesse. Je verrouille tout mon corps. Je suis ivre mais toutes mes ressources physiques et mentales sont mobilisées pour une chose : marcher droit. Ne pas ressembler à une proie. Ressembler à une proie, ça veut dire attirer les prédateurs. Alors je marche droit. Ou presque presque. Quasiment droit, avec peut-être une pointe de raideur. La nuque raide et droite elle aussi. Il ne faut pas regarder au sol.

 

Une voiture s’arrête à ma hauteur. « Hé ! Hé ! Hé ! Mademoiselle ! Hé ! Tu vas où là ?? ». J’ai essayé de les ignorer les trois premières fois. La quatrième, il faut bien répondre, juste parce que je sais que je suis en position d’infériorité. « Je rentre chez moi ». Ton crâne, voix assurée, réponse sûre de soi. Pas une once de peur dedans. Pourtant...

Ca a suffit. Ils sont partis. Les statistiques dansent dans ma tête. Une femme sur 6 violée (je pense à toutes mes amies qui l’ont été, parce que oui, une main ne suffit pas à les compter, j’espère que ce soir je ne rejoindrai pas leurs rangs). Je sais les questions qu’on me posera. Je sais qu’on me demandera si j’étais ivre, comment j’étais habillée. J’étais ivre et j’étais sexy. Je sais que rien qu’à cause de ça si jamais quelqu’un avait l’idée de m’agresser sexuellement, je risquerais de ne pas être prise au sérieux.

 

Un tiers du chemin à peu près de fait. Je tombe. Je trébuche parce que le trottoir n’est pas absolument droit et parce qu’avec mes problèmes d’équilibre, trébucher, ça m’arrive presque tous les jours, ivre ou pas, en tout cas régulièrement. Il a fallu que ça tombe ce soir. Merde. J’ai fait tomber mon téléphone et en plus ça risque de trahir mon ébriété, je passe pour une proie facile. J’ai vraiment mal au genou. Je réfléchis rapidement à comment me relever, récupérer mon téléphone et ne pas avoir l’air ivre ou en état de faiblesse. J’ai vraiment mal au genou. J’ignore cette douleur. Je me relève (chastement, à base de genoux pliés et de dos bien droit malgré la difficulté de l’exercice à cette heure et avec ce grammage), je fais deux pas vers la gauche, je récupère mon téléphone, je lisse ma robe comme si de rien n’était et je reprends ma route. J’ai mal. Je ne dois pas le montrer, je ne jette même pas un coup d’œil à ce genou qui me fait si mal. Il y a des choses plus importantes, la première étant de marcher droit et de faire comme si je m’étais tordu la cheville, sans intervention de l’alcool bien sûr.

 

Une autre voiture me siffle, je ne sais pas s’ils m’ont vue tomber. J’ai peur. Je continue d’avancer. Ils s’en vont ailleurs, je presse le pas, la peur au ventre. Il m’est déjà arrivé de me faire suivre par une voiture jusque devant chez moi, je voudrais avoir atteint l’intersection et tourné avant que cette voiture ait eu le temps de faire le tour de la place et de voir quel chemin je prenais exactement. Mon genou brûle. J’atteins l’intersection. Poutrellle de merde, déjà deux personnes qui m’ont interrompue dans mon chemin alors que je rentrais juste chez moi, et je ne corresponds pas au type de base de la nana « baisable ». Je suis médicalement obèse. J’ai une pensée pour toutes mes sœurs correspondant mieux aux idéaux de beauté de la société, plus « sexy » que moi, et qui doivent gérer ça toutes les nuits, de manière plus fréquente, de manière plus insistante. Je pense à mon amie qui s'est fait suivre par un homme qui voulait absolument savoir si son chapeau était 100% laine, à mon amie qui a entendu des hommes dire qu'ils lui mettraient bien son parapluie dans le cul. A mes amies pour qui ces altercations ont fini de manière autrement plus tragique. J’ai peur. Genre vraiment peur. Les statistiques sont là, pas loin. Une sur six. Est-ce que je serai la sixième ce soir ?

 

Dans 5 minutes je serai chez moi. Je ne respire pas encore. Je fouille mon sac, je récupère mes clés, je m’en fais un poing américain et je prépare la clé de la porte extérieure de mon immeuble. Je sais déjà, à cause d’agressions précédentes, que j’ai des réflexes qui joueront en ma faveur. Mon corps réagit avant mon esprit et je sais qu’en cas de danger même si je ne m’en sors pas, je ferai au moins mal.

 

Un troisième homme m’interpelle, de dos, je pense qu’il était en voiture. « Hé, hé, hé, mademoiselle !! » Je l’ignore. « ah tu fais la belle ! ah tu fais la belle, connasse !! Sale pute !!!». Je ne fais rien. Je marche juste pour rentrer chez moi. Et j’aimerais rentrer chez moi sans subir d’agression. Mais c’est quand même la troisième que je vis ce soir en moins de 15 minutes. Mon genou me fait toujours mal, j’ai peur, je suis épuisée car ça fait plusieurs jours que je dors mal, et ce soir j’ai bu, je n’arrive plus à retenir mes larmes. Mais je les laisse couler silencieusement. Pas de sanglots, ça risque de me faire passer pour une proie. Je pleure et je marche en même temps. Il faut marcher droit. J’aimerais m’arrêter, j’aimerais m’adosser à un mur et pleurer. Ce n’est pas une option. Je suis chez moi dans 4 minutes à peine, je pourrai pleurer à ce moment-là. Sois forte, tiens le coup, attends.

 

Je me suis trompée de clef. J’ai pris la clef de mon verrou au lieu de prendre la clé de la porte extérieure. Je prends la bonne dans mon trousseau. Je ne sais pas si quelqu’un me suit car marcher autrement que la tête droite et en faisant comme si le monde n’existait pas, c’est marcher comme une proie, c’est dangereux. Je m’effondre. Je pleure à grosse larmes en rentrant la bonne clef dans la serrure. Je rentre dans mon immeuble, et je ferme la porte derrière moi. Les larmes sont toujours silencieuses. C’est seulement une fois dans mon ascenseur, avec deux portes refermées sur moi, que je me laisse aller.

 

Je rentre dans mon appartement, je nourris mon chat, je vais sur facebook car là tout de suite, j’ai besoin d’entendre que  tout va bien. Heureusement un ami est connecté. Il est là, il me dit que ça va, que je suis en sécurité, ce que j’ai besoin d’entendre immédiatement. Ouf. Je commence à me dire que c’est bon, je suis en sécurité. Je ne serai pas la sixième ce soir. Je regarde mon genou brûlant. Tu m’étonnes que j’ai mal : je saigne. Mon collant à 15 balles est troué, ça fait chier. Je ris de cette pensée terre-à-terre parce qu’il y a 5 minutes je craignais encore pour ma vie.

 

Alors que je pleure ma honte (irraisonnée mais que je ressens tout de même), ma peur et mon alcool je me dis une chose : j’ai eu de la chance, ce soir ce n’a pas été moi. Et je considère cela comme une chance, quand ça devrait juste être normal. Et moi qui ne pleure pas souvent, moi qui ai un côté bulldozer (demandez à mes amis), je suis en larmes, j’ai peur, je me sens vulnérable. J’ai eu peur ce soir, alors que je n’avais rien fait de mal. Je suis en colère contre les hommes qui ont trouvé que ce n’était pas un problème que de me faire peur, contre moi-même qui ai eu peur, contre ce système dont je sais qu’il ne me soutiendra pas si un jour je me fais violer en étant ivre et sexy, contre le monde… Je suis triste, fatiguée et en colère.

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