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La Blairelle en colère
21 avril 2016

Dieu est dans les détails. Ou le Diable, je ne sais jamais.

Le sexisme, ce n’est pas juste dire que les femmes sont toutes des salopes, qu’elles doivent être mal payées et qu’elles ne servent qu’à baiser et porter les enfants. Ce serait tellement plus simple. Tellement facile d’analyser les comportements des autres et de soi-même.

Non, le sexisme, c’est bien plus insidieux que ça, ça s’insinue un peu partout dans les conversations, dans les représentations de l’autre,pour se changer doucement en préjugés, dans les représentations qu’on a de nous-mêmes, pour créer des complexes (de supériorité ou d’infériorité). Tout ça pour pour être, à la fin, intériorisés et devenir indétectables.

 

 

Aujourd’hui j'ai eu une discussion... éclairante, avec un mec, sur Facebook. Un type (Monsieur M comme Malpoli) que je ne connais ni d’Eve, ni d’Adam. La conversation portait sur le tatouage qu’une femme s’était fait faire d’après un dessin qu’elle avait fait (une boussole avec trois plumes en-dessous). Ce tatouage n’était pas aussi fin que le dessin original l’était, les lignes semblaient moins régulières, les plumes, moins délicates. Autant dire qu’elle s’est pris pas mal de remarques désagréables au coin du nez. Je suis intervenue pour préciser qu’on n’avait aucune information sur les modifications effectuées, si elles l’avaient été avec l’accord de la jeune femme, si c’était pour correspondre à une esthétique « old school » moins lisse que le dessin original, ou pour avoir un côté naïf, bref, la beauté étant subjective, on pouvait noter les différences entre les deux, éventuellement dire quelle version on préférait mais pas partir du principe que le tatoueur avait fait un travail merdique.

 

 

Juste avant moi une femme s’était un peu énervée contre Monsieur M qui se contentait d’insulter le tatoueur en disant qu’il avait fait de la merde. Juste sous mon commentaire, Monsieur M a répondu à la femme juste avant moi : « change de tampax, chérie, on t’a rien fait, hein… C’est fou comment les gens prennent la mouche, abusé, ho ! ». Je lui ai immédiatement répondu que son commentaire était complètement stupide.

Evidemment, il n’a eu rien de plus pressé que de réaffirmer sa position (à savoir que « C’EST PAS BEAU » en lettres capitales), cette fois en argumentant bien mieux son opinion, et de me dire que sa réponse était au niveau de la réaction de la fille concernée.

Je lui ai répondu que son désaccord avec elle était une chose, mais que le sexisme de sa réponse en était une autre. J’ai ensuite continué en disant que la notion de beauté était une notion finalement intime et subjective, bref, à parler un peu du sujet qui nous intéressait quoi.

Réponse de Monsieur M : mon message était long et chiant alors il a pas tout lu, j’étais incohérente sur un point, il m’a signalé que j’avais écorché son prénom, en finissant le tout par « bisous, ma grande ».

 

 

Alors là je vous le dis tout de suite, je DETESTE qu’on me parle de manière paternaliste. C’est quelque chose que je ne supporte absolument pas.

 

 

Donc j’ai admis que je m’étais mal exprimée sur le point qu’il avait soulevé (il avait raison) et j’ai précisé ce que je voulais dire. J’ai terminé en lui demandant de supprimer de son message le « ma grande » car je n’étais « sa » rien du tout. Je me suis excusée d’avoir écorché son prénom (que j’ai immédiatement corrigé dans mon message précédent), et j’ai précisé que oui, dire à une femme qui lui cassait les couilles d’aller « changer son tampax », c’était sexiste.

Je vous fais la suite courte : corriger son message, ça aurait été « se rabaisser », ce ne sont que des détails, je suis trop sur la défensive, il est pas sexiste puisque si ça avait été un mec il lui aurait dit d’aller s’astiquer le manche. Au final, il n’est jamais allé se corriger.

 

 

Je suis restée absolument polie avec lui (sauf à la toute fin, quand il a été clair qu’il ne se corrigerait pas, où je lui ai dit qu’il me semblait être un gros con mais que ce n’était qu’un détail alors qu’il ne fallait pas qu’il se sente insulté), je lui ai dit que si c’était un détail pour lui, ça n’en était pas un pour moi et que donc ça ne lui coûtait rien de le changer, qu’il ne s’agissait pas de le rabaisser lui mais simplement de ne pas me rabaisser MOI, rien n’y a fait.

Le sexisme, c’est AUSSI ça. C’est se permettre de parler de manière paternaliste à des femmes qu’on ne connaît pas : « chérie », « ma grande ». C’est partir du principe qu’une femme ennuyeuse, elle a ses règles, ou qu’un homme ennuyeux, il faut qu’il aille éjaculer de toute urgence. C’est refuser l’égalité. Demander à quelqu’un de me témoigner un respect que moi je lui témoignais de toute façon, ce n’était pas le rabaisser. En aucune façon. Mais il voulait rester dans une situation où lui pouvait se montrer méprisant envers moi tandis que moi je restais respectueuse envers lui. Mais ce n’est pas du sexisme, non… C’est quoi, alors ? Des détails, d’après lui. Encore une fois, c’est celui qui appartient au groupe dominant qui vient dire à l’opprimé ce qu’il devrait ressentir, comment il devrait agir et pourquoi lui, monsieur M, n’est pas un oppresseur. D’accord d’accord… Je suis sûre qu’il a un ami Noir, il n’est donc sans doute pas raciste non plus…

 

 

Ce que je vois, c’est que cet homme a tellement intériorisé tous les codes sexistes qu’il ne se rend même plus compte qu’ils existent, même quand on lui met le nez dedans. C’est quelqu’un qui tire avantage de sa position dominante, et qui, finalement, en est bien content et refuse de se remettre en question. Dans notre société, le sexisme, c’est avant tout ça : c’est accepter un état de fait en le prenant pour normal, et balayer tout ce qui vient dire le contraire en parlant de « détails ».

On me dira qu’il y a sans doute des combats plus importants que de ne pas se faire appeler « ma grande » par un inconnu, et je suis d’accord avec vous. En France, on voudrait ne pas se faire harceler dans la rue, être prises au sérieux quand on vient porter plainte pour viol, cesser d’être soumises à des injonctions contradictoires (sois mince, ne fais pas chier avec ton régime, sois belle, ne soit pas au courant que tu es belle, sois sexy, sois « respectable », j’en passe et des meilleures), on veut l’égalité des chances, des salaires, égalité à l’emploi, etc. Mais vous croyez vraiment qu’on va pouvoir obtenir tout ça si on ne veille pas à la manière dont les gens, de parfaits inconnus s’adressent à nous ? Vous croyez vraiment qu’on va obtenir une quelconque égalité de faits dans une société où un homme peut m’appeler « ma grande », ou appeler une autre femme « chérie » sans me connaître et où une bonne partie des gens ne vont pas voir le mal ?

 

L’emploi d’un possessif par un inconnu (cf. Le possessif en Français, aspects sémantiques et pragmatique, par Michaela Heinz, p. 359) ou l’emploi d’un terme hypocoristique sans qu’il y ait de vrai sentiment affectueux derrière, sont des façons d’exprimer linguistiquement la condescendance. C’est un procédé insidieux, qui n’est pas une insulte lancée au visage, mais qui est tout de même une forme de mépris. Pourtant, la société voudrait qu’on ignore tous ces petits crachats qu’on se prend au coin du nez, comme le « ma petite dame » du garagiste, le « poulette » du barman, etc. Nous, on doit faire bonne figure, faire comme si c’était normal d’être infantilisées, méprisées, d’être victime de la condescendance d’un tiers, accepter, toujours accepter. Si on se rebiffe, alors c’est qu’on a nos règles, ou qu’on est hystériques, qu’on fait trop attention aux détails, bref, qu’on fait chier et qu’on ferait mieux de la fermer. Je ne sais jamais si on doit dire « dieu est dans les détails » ou « le diable est dans les détails », je ne me souviens jamais de l’expression originale… Je crois que les deux y sont, finalement ! Oui, ce sont des détails, mais ce sont des détails qui font tout, des détails qui trahissent une intériorisation de tous les codes sexistes et patriarcaux. Des détails qu’on se prend dans la face quinze fois par jours et qui finissent par former des dunes de plein de petits grains de sable, dunes dans lesquels on s’enfonce, qui nous étouffent, grains qui viennent se loger dans nos yeux, dans nos habits, sur notre peau. Grains qu’on avale, nous-mêmes, parfois (un jour je vous raconterai à quel point j’ai été sexiste quand j’étais ado…).

 

 

Oui, le sexisme (et le fait de s’en sortir) est dans les détails, car ce sont les détails qui bâtissent tout le reste. On n’a pas le droit de s’arrêter, à un moment, et de dire « c’est bon, je suis féministe, j’ai mon pin’s, personne ne peut venir me faire chier et me dire que je suis sexiste ». Je suis persuadée que les grandes luttes ne pourront pas fonctionner si on ne change pas l’état d’esprit de la population sur les choses les plus petites.

 

Au lieu de faire chier le monde à savoir s’il faut écrire nénuphar ou nénufar, pourquoi ne pas changer la règle du masculin qui l’emporte systématiquement sur le féminin ? Quand j’ai une classe de 16 filles pour 1 garçon, il faut que je dise « ils », vous trouvez ça logique et respectueux, vous ? On est en démocratie ou pas ? Ca ne devrait pas être la majorité qui l’emporte ? Si je dis « un slip et une chaussette», je vais devoir accorder en disant « noirs ». Ca ne choque personne ? Même rien que visuellement, ça fait bizarre ce masculin pluriel à côté d’un féminin… On devrait pouvoir accorder comme on l’entend. Au pire, l’accord au plus proche est une ancienne règle française qui fonctionne extrêmement bien. Oui, ce n’est rien face à une femme qui meurt sous les coups de son époux, mais est-ce que cet homme n’a pas grandi dans un univers où on lui a fait croire qu’il valait plus que les femmes ? Qu’il leur était supérieur ?

Pourquoi est-ce qu’on ne crée pas un véritable neutre pour les gens qui souhaitent échapper à la binarité genrée imposée par le langage ? (personnellement, plutôt qu’un terme comme « ille » ou « ielle » qui indique un mélange de féminin et de masculin, ou un « them » anglais qui sous-entend une pluralité, j’adorerais qu’on réintroduise un neutre latin : illud, hoc ou id, pourquoi pas ! Mais bon, si demain la communauté transgenre opte pour « dubitchu », je serai heureuse d’utiliser le mot qu’elle aura choisi).

Pourquoi la majorité de nos insultes sont-elles racistes, homophobes ou misogynes ? Pourquoi, pour parler d’un homme malhonnête, je vais dire « enculé » ? Pourquoi, pour parler d’une femme méchante, je vais parler de « pute » ? Pourquoi quand je suis mécontente, ou même juste pour ponctuer, je vais dire « putain » ? Je travaille énormément là-dessus actuellement. C’est difficile, mais je suis persuadée qu’en changeant le vocabulaire, on change aussi les idées. Oui, ce n’est rien par rapport à une femme qui se fait violer, mais est-ce que les violeurs ne grandissent pas dans une société où la sexualité féminine est sujette au jugement de tous, et où une femme qui assume son corps et son désir sexuel perd toute valeur humaine ?

 

 

Oh oui, ce sont des détails, et pourtant ce sont des détails qui changeraient la vie de pas mal de gens. Oui, parfois, c’est chiant et fatigant de se remettre en question, tout le temps, sur des trucs qu’on croyait acquis, normaux, naturels. Tout n’est que construction. Constructions linguistiques, sociales, culturelles. A nous de les détricoter si on veut s’en sortir. Et ça veut dire faire la chasse aux détails. Ce qui ne veut pas dire abandonner les luttes plus monumentales (je précise, hein, au cas où, aux dernières nouvelles on peut mener plusieurs combats de front).

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