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La Blairelle en colère
5 avril 2016

Petit guide à l'usage des alliés en devenir.

Il m’est déjà arrivé d’avoir peur. Il y a quelques mois un homme dans un état second m’a suivie presque jusque chez moi, j’ai eu très peur. Des hommes (et des femmes, parfois), se sont déjà permis des regards et des commentaires plus ou moins appréciateurs sur mon corps, ma façon de m’habiller, mon allure générale. Des hommes m’ont déjà touchée sans que je leur en donne la permission. Mais bon, globalement j’ai de la chance, je ne me suis jamais fait agresser.
 
OK. Maintenant relisez cette dernière phrase : j’ai de la chance, je ne me suis jamais fait agresser. De la chance. Dans la société dans laquelle on vit, ça devient une chance de ne pas se faire violer. C’est un sujet grave, mais surtout, ce n’est pas qu’un sujet, justement, c’est une réalité. Réalité que 50% de la population vit au quotidien, qu’on le veuille ou non. Il est parfois difficile, pour des personnes vivant dans cette réalité, de supporter certaines attitudes, certains propos, dans la bouche de gens qui ne le vivent pas au quotidien.
 
Mais en même temps, quand on ne vit pas cette violence au quotidien, parfois on veut s’informer, on veut savoir, on veut qu’on nous explique, on veut progresser, et ça, c’est très bien. Mais le problème c’est que parfois on fait des gaffes, oh, souvent sans le vouloir, mais bon, du coup on se fait engueuler, alors on se met en colère aussi et personne n’est content. Donc ce que je me propose de faire ici c’est un tout petit guide sur les choses à faire ou à ne pas faire quand on commence à s’intéresser à un sujet comme celui-ci mais qu’on part vraiment de la base. Je vais parler de féminisme, mais je pense que ça peut marcher aussi pour l’antiracisme, le végétarisme, l’antihomophobie, bref, toutes les luttes contre les inégalités (du moins je le crois).
 
1) Vous avez des questions ? Parlez-en d’abord avec vos pairs.
Ça doit faire une bonne dizaine d’année que je m’intéresse à divers thèmes féministes, je découvre chaque jour de nouvelles choses, de nouveaux combats, de nouvelles sources d’indignation. Ce n’est pas que je me montre en exemple (je n’en suis pas un du tout : je n’ai toujours pas lu les ouvrages fondateurs du féminisme, ce qui manque cruellement à ma culture, et je suis plus orientée du côté pratique de tout ça, les théories philosophiques ne m’intéressant que de très très loin), mais simplement c’est quelque chose qui, en 10 ans, a eu le temps de pas mal mûrir dans ma tête, et c’est un sujet qui me tient à cœur. Par ailleurs ça fait 28 ans que j’existe et que j’existe dans un monde sexiste (dites-le très vite 10 fois de suite). Donc en 28 ans les inégalités ont eu bien le temps de me sembler de plus en plus injuste, de devenir de plus en plus douloureuses, bref, je ne suis pas forcément d’humeur à éduquer quelqu’un qui vient tout juste de commencer à se poser des questions que je me pose depuis 10 ans (voire plus car même avant d’en avoir conscience, j’étais déjà féministe). Ici je parle de moi, mais ça marche pour beaucoup beaucoup de femmes. Il va y avoir des jours où je pourrai parler avec quelqu’un qui n’y connaît rien du tout, et des jours où je n’en aurai ni la force ni la patience.
Donc mon premier, tout premier conseil va être le suivant : parlez d’abord avec vos pairs. Vous commencez tout juste à vous poser des questions sur la place des femmes dans notre société ? Vous voudriez avoir un interlocuteur pour poser vos questions ? C’est super, mais si vous commencez vraiment tout juste à y penser, il y a de grandes chances que certaines de vos questions soient des « questions bêtes ». Je mets des guillemets car une question honnête n’est jamais vraiment bête. Mais tout comme on aurait l’air un peu con de demander à Paul Bocuse comment il faut faire cuire ses pâtes, on aura l’air un peu con d’aller poser nos questions basiques à notre potesse féministe. Parce qu’elle est déjà loin sur cette route-là et qu’elle n’aura peut-être pas la patience de revenir au tout début de la route pour venir nous tenir la main pendant qu’on fait nos premiers pas.
Il y a des gens qui en sont capables, il y a des gens qui le souhaitent (et encore, pas forcément tous les jours), mais il ne faut pas partir du principe que c’est la règle, et encore moins que c’est normal ou qu’on vous le doit.
Donc allez parler à vos pairs. Vous êtes un homme et vous vous intéressez au féminisme pour la première fois de votre vie ? Allez parler à un homme dont vous savez qu’il est plus loin que vous sur cette voie-là. Pourquoi un homme, me direz-vous ? Parce que cet homme-là, si c’est vraiment un alié féministe, saura vous renseigner, mais aussi parce qu’il saura ne pas perdre son sang froid si vos questions sont mal posées, ou insultantes (oui, parfois on est insultant sans le vouloir), parce qu’en tant qu’homme il ne vit pas cette souffrance au jour le jour, il peut « prendre des pauses », et n’est pas usé sur la question du féminisme. Moi je ne le peux pas parce qu’il y aura toujours quelqu’un pour me rappeler ma condition (inférieure et aliénante) de femme. Je suis usée, et donc fragile. Pas fragile comme une petite feuille qu’on risque d’écraser, fragile comme une boule de verre remplie d’explosif. Attention cependant à bien choisir votre interlocuteur. Indice : s’il ne vous bouscule pas dans vos idées, ce n’est pas l’interlocuteur qu’il vous faut, il ne vous fera pas avancer et risque au contraire de vous conforter dans vos opinions de départ. Le féminisme, l’antiracisme, l’antihomophobie, ce n’est pas facile, ce n’est pas confortable. Se rendre compte qu’on fait partie d’une population qui a des privilèges et qui en use sans même s’en rendre compte, ce n’est pas agréable. C’est difficile, l’ego en prend un coup. Donc apprêtez-vous à marcher sur un chemin plein de nids de poules et de cailloux. Si c’est tout lisse, c’est pas le bon.
 
2) Eduquez-vous !
C’est la suite directe du conseil précédent : vous commencez à avoir une idée un peu plus précise des questions que vous pouvez vous poser, et qui en soulèvent d’autres qui en soulèvent encore d’autres et vous êtes un peu paumé. Internet est là pour vous ! Il y a des sites, des forums, des articles que vous pouvez consulter, et c’est un outil magnifique. Pourquoi magnifique ? Parce que l’écrit permet de proposer des synthèses plus claires qu’on ne pourrait le faire à l’oral, plus concises, allant plus droit au but, directement ciblées sur votre question, et ce sans avoir à les poser à quelqu’un (au risque de mal les poser et de se montrer insultant, comme je l’ai dit plus tôt. Vous êtes encore tout bébé dans votre réflexion, et vous pouvez encore être maladroit(e)). Google (ou n’importe quel moteur de recherche) peut directement trouver des réponses possibles aux questions que vous vous posez, et ça c’est merveilleux. Vous pouvez poser des questions sur des forums et avoir des réponses d’hommes et de femmes qui auront choisi du départ de prendre du temps pour éduquer quelqu’un ce jour-là. Votre question ne sera donc pas une question qui leur sera imposée, mais une question à laquelle ils et elles auront envie de répondre. Là encore, un conseil : n’hésitez pas à dire que vous ne vous intéressez pas au sujet depuis longtemps, et faites attention de l’endroit où vous postez votre question : si vous êtes sur un forum rassemblant des féministes « aguerris », vos questions « vanille » ne seront peut-être pas aussi bien reçues que sur un forum de sensibilisation. Pour changer de la métaphore culinaire, n’allez pas vous vanter d’être trop hardcore parce que vous aimez vous prendre une petite fessée de temps en temps à une convention BDSM. Au mieux vous ferez sourire, au pire vous allez sévèrement agacer (et quelqu’un va vouloir vous apprendre la politesse avec une VRAIE grosse fessée).
Lisez des articles sur les questions que vous vous posez. Pour une question, lisez trois, quatre, douze articles, mais pas un seul, car il existe de nombreuses façons de voir les choses, et une seule réponse, ce n’est pas assez. Et ce n’est pas parce que vous avez une copine femme qui dit qu’elle aime bien se faire siffler dans la rue que c’est OK, vous voyez le genre ? Privilégiez la pluralité des réponses.
 
3) Apprenez à écouter.
L’une des choses les plus instructives qui soient, c’est d’écouter. Ecouter et juste écouter. Cherchez des témoignages, écrits, sur internet, ou oraux auprès de vos amies (oui maintenant ça va je vous fait confiance, vous pouvez commencer à poser des questions aux premières concernées), posez des questions, mais écoutez juste les réponses. Ecoutez ET NE CHERCHEZ PAS A REPONDRE ! Juste écoutez, sans juger, et si vous ne comprenez pas bien, ce n’est pas forcément grave. Ne vous lancez pas dans un débat car il y a de grandes chances, si vous ne comprenez pas et qu’une ou deux réponses ne vous satisfont pas, que le problème vienne de vous. Dans le sens où tout simplement vos connaissances ne sont pas encore suffisantes et que vous vous attaquez à un problème trop compliqué. C’est pas grave. Ca arrive à tout le monde de se tromper, ou de tenter un truc et de ne pas y arriver, ne faites pas comme s’il y avait une faute car il n’y en a pas, et ne faites pas retomber cette faute inexistante sur la personne en face de vous qui a initialement répondu à sa manière à votre question. Ce n’est pas grave de ne pas comprendre tout de suite, vous comprendrez peut-être plus tard. Ecoutez pour écouter, pour avoir une petite pièce supplémentaire à votre puzzle, et c’est pas grave si pour le moment elle ne s’emboîte pas avec les autres, ça viendra sans doute un jour, laissez-vous du temps, ne vous acharnez pas.
Parfois la plus jolie réponse qu’on puisse avoir, quand on donne son ressenti, son expérience, quand on essaie de répondre, du mieux qu’on peut, aux interrogations de quelqu’un, c’est « merci d’avoir pris le temps de me répondre, je vais réfléchir à ce que tu m’as dit », et pas « oui, mais… ». Ecoutez pour apprendre, pas pour répondre.
 
4) N’essayez pas d’avoir une opinion tout de suite.
LET. THAT. SINK.
Sans rire, je l’ai dit plus haut, le féminisme est un long chemin caillouteux, et en plus des fois il y a du brouillard, et puis on est fatigué, on se prend une averse et on ne voit plus rien, bref, c’est pas facile d’avancer dessus. Apprenez à réserver votre justement pour plus tard. Il y a toujours de nouvelles questions qui se posent, apprenez à ne pas y apporter de réponse immédiatement, apprenez à rester dans le flou. Il y a quelque mois j’ai appris qu’il existait des personnes intersexes (ça ne veut pas dire hermaphrodite), et depuis je me renseigne, j’essaie de comprendre un peu mieux ce que ces personnes vivent, mais je n’ai pas essayé de faire immédiatement comme si je connaissais leur situation, ou comme si « c’était évident que… », ou comme si j’avais un droit quelconque à penser quoi que ce soit de leur situation. Non. J’ai encore beaucoup à apprendre, pour le moment la seule chose que je sais, c’est que si un jour je décidais d’avoir un enfant et que cet enfant était intersexe, je ne le ferais pas mutiler comme ça a été le cas pour beaucoup d’enfants intersexes. C’est mon unique certitude, et pour le moment, avant de penser quoi que ce soit d’autre, j’attends d’avoir lu plus de témoignages, de m’être mieux renseignée.
D’ailleurs, le but des discussions féministes n’est pas souvent d’avoir une opinion (quelle opinion avoir sur des gens qui sont intersexes, en fait ? Il n’y a pas d’opinion du tout à avoir là-dessus !), c’est souvent de partager, de faire comprendre un point particulier. Le but ultime serait au contraire que les gens arrêtent tout bonnement de juger les autres à l’aune de leur propre référentiel, et qu’ils apprennent à changer de référentiel, à se mettre un peu dans les pompes des autres.
 
5) Ne cherchez pas à apporter quelque chose.
Souvenez-vous, vous êtes tout neuf dans le milieu, et vous n’êtes pas directement concerné, donc même si vous avez une super idée, si vous êtes persuadé d’avoir LA solution, apprenez à garder ça pour vous. Restez humbles, ne donnez pas un avis qu’on ne vous demande pas, c’est aussi ça être un bon allié. C’est ne pas dire aux femmes que vous savez mieux qu’elles comment elles devraient se battre, quels mots elles devraient utiliser, quelles batailles elles devraient mener, etc. Et encore moins quand ça ne fait pas longtemps que vous vous intéressez au sujet. Parce qu’il y a de grandes chance que votre avis ne soit pas révolutionnaire, et qu’on ait déjà essayé et que ça n’ait pas marché, et que ce soit pour ça qu’on ne parle même pas de votre idée. Ayez le respect des générations de femmes qui se sont battues pour elles-mêmes et pour leurs filles, et qui y réfléchissent depuis plusieurs siècles de plus que vous.
C’est au féminisme de vous apporter quelque chose dans votre construction de vous-même. C’est au féminisme de vous ouvrir les yeux, de vous faire voir le monde différemment. Ce n’est pas à vous d’avoir la prétention d’apporter quelque chose au féminisme.
 
6) Ce n’est pas une blague.
Vous vous sentez d’humeur taquine et vous avez envie de faire tourner une de vos amies en bourrique en la titillant sur une question féministe ? ARRETEZ TOUT DE SUITE. Je vous l’ai dit plus tôt, le féminisme, ce n’est pas juste un sujet, c’est un combat à mener au quotidien pour avoir droit un jour à l’égalité. Ce n’est pas un sujet de blague, c’est un sujet douloureux. Quand je parle féminisme, je pense à toutes les femmes dans le monde qui se sont fait infibuler, exciser, je pense aux femmes qui sont persuadées de ne rien valoir parce qu’elles ne sont pas nées avec un pénis, je pense à toutes les petites filles assassinées à la naissance, je pense à toutes ces femmes qui meurent chaque jour sous les coups de leurs époux. Je pense aussi aux hommes qui se retrouvent à devoir agir « comme des bonshommes », et donc à intérioriser leurs sentiments au point de les étouffer, je pense aux hommes qui ne peuvent pas agir comme ils le voudraient parce que ce serait agir « comme une gonzesse » et qu’être une gonzesse, apparemment, c’est mal, je pense aux hommes qui se font violer et ne peuvent rien dire parce que dans notre société patriarcale, un mec, ça peut pas se faire violer bref, quand je parle féminisme je pense à des choses sérieuses, des choses qui font mal. Honnêtement, je blaguerai de bon cœur sur la mort de mon père, mais jamais sur le féminisme. Car la mort de mon père, ça date, c’est fini maintenant (il n’a pas fini d’être mort, mais ça a fini de me faire de la peine). En revanche, le sexisme, la violence, les meurtres, tout ça, ça existe encore, je peux encore en être victime, certaines de mes amies en sont/ont été victimes, alors on n’a pas le droit d’en rire. Et encore moins d’en rire sur la place publique (par écrit, sur fb, sur des forums, etc.). Ce n’est pas drôle.
Et ne jouez pas les avocats du diable : vous le savez, que vous êtes de mauvaise foi si vous faites ça (avocat DU DIABLE, bon sang, l’expression parle d’elle-même), et c’est pas bien. C’est pas bien car c’est un vrai sujet qui fait vraiment souffrir, car votre discours est peut-être en train de créer une crise d’angoisse chez votre interlocutrice, qui s’est peut-être fait violer ! (Au fait, comptez les femmes de votre entourage. Si vous en connaissez plus de 6, l’une d’entre elle s’est fait (ou se fera) agresser sexuellement. Et chacune d’entre elles a déjà subi des violences (remarques, main aux fesses, se faire suivre, menacer…)). Donc par pitié, ne faites pas d’humour, ne vous croyez pas drôle en allant « taquiner » votre « copine féministe », ne croyez pas que c’est amusant de dire un truc provocant pour ensuite rigoler bien grassement en disant « ah ben ça y est elle est lancée ».
 
7) N’imposez rien.
Dernier conseil de ce long post : n’imposez rien. Dans un autre article, j’expliquais que mon temps m’appartenait, c’est valable pour absolument tout le monde sur cette terre. N’imposez pas un débat à quelqu’un qui n’a pas envie d’en avoir un. Apprenez à entendre quand quelqu’un n’a pas envie de parler. De parler du sujet dont VOUS voulez parler, ou de vous parler, à VOUS, tout simplement. Personne ne vous doit rien et ce n’est pas parce que vous avez des questions qu’on est obligé de vous répondre (et de vous répondre d’une manière qui vous satisfasse). Evidemment vous pouvez toujours poser des questions, mais si la réponse est lapidaire ou trop rapide, ou qu’elle ne vous convient pas, apprenez à l’accepter et cherchez des réponses ailleurs, auprès de quelqu’un qui aura l’énergie ou le temps de vous répondre, ou gardez votre question pour plus tard et ressortez-la à un moment plus opportun. Eventuellement dites que vous souhaiteriez en reparler plus tard, s ivotre interlocuteur/trice est d’accord, un jour où il/elle aura le temps. Ne forcez pas cette personne à perdre son temps et sa patience à vous parler alors qu’elle a peut-être autre chose à faire, ou qu’elle est de mauvaise humeur, ou que vous posez une question sur un sujet dont elle ne veut absolument pas parler maintenant, ni peut-être jamais. Internet vous offre virtuellement des milliards d’interlocuteurs, et une banque de donnée quasiment illimitée. En cherchant bien, de fil en aiguille, vous pouvez tout à fait trouver des réponses intéressantes à vos questions sans être un fardeau pour un interlocuteur qui n’a pas envie de l’être, justement, votre interlocuteur.
 
Voilà, il y aurait sans doute mille autres choses à dire, mais je pense que déjà si vous essayez de respecter tout ça, vous trouverez plus facilement les informations qui répondront à vos questions, et vous serez en bonne voie pour devenir un véritable allié dans la lutte contre les inégalités. Et souvenez-vous, ce n’est pas facile de remettre ses privilèges en cause, d’entendre des choses parfois dures à entendre, mais c’est encore moins facile de ne pas avoir de privilège et de vivre les inégalités au quotidien, dans sa vie, dans sa chair. Mais c’est un voyage humain qui vaut le coup, qui vous fera découvrir des mondes dont vous ne soupçonniez pas l’existence, et qui pourrait bien vous apprendre des choses sur vous-mêmes.
 
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